Contexte
Pour ce bilan j’ai choisi mon milieu de travail,
car c’est de loin celui pour lequel j’ai le plus d’expérience, mais également,
pour lequel je vis au quotidien l’effet des changements de pratique que permettent
le web et les médias sociaux. La direction de santé publique de l’agence de la
santé et des services sociaux (ASSS) de Montréal a pour mission de « Garder notre monde en
santé ». Cette mission se réalise entre autres par le biais de plusieurs
activités, dont la promotion de bonnes habitudes de vie, la surveillance de
l’état de santé et la recherche qui contribue à l’avancement des compétences et
connaissances en santé publique. Plusieurs équipes travaillent à couvrir des dossiers thématiques dont celui dans lequel je
travaille soit, les services préventifs en milieu clinique. L’objectif de ce
secteur est :
Par ses interventions et ses activités de recherche, le secteur Services préventif en milieu clinique travaille, de concert avec les partenaires du réseau de la santé, à faire émerger un réseau de première ligne fort qui intègre la prévention clinique dans l’ensemble du continuum de services.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la
terminologie, le réseau de santé de première ligne est constitué de l’ensemble
des services offerts par les cliniques médicales (public ou privé), les centres
de santé et services sociaux (CSSS) ou les unités de médecine familiale. L’accès
rapide à un service de première ligne efficace est un déterminant important à
la santé de population.
Problématique (enjeux et acteurs)
L’équipe de recherche dans laquelle je travaille a
pour objectif de suivre et évaluer l’effet des transformations des services sur
la santé des populations. L’implantation de quelques mesures par le
gouvernement (groupes de médecine familiale [GMF], clinique réseaux) doivent
être évalué et réajusté et ce, par le biais des diverses études réalisées à la
fois par notre équipe, mais aussi, par d’autres équipes de recherche du
Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), des équipes
universitaires, des regroupements de chercheurs, bref, par d’autres partenaires,
mais aussi, des compétiteurs! En effet, nous sommes tributaires de subventions
pour plusieurs projets de recherche, et ce, pour des objectifs semblables!
Toutefois, les organismes subventionnaires ne sont pas illimités. L’un des
enjeux ici est l’accès aux banques de données médicoadministratives qui sont
utilisées pour réaliser du monitorage ou de la recherche. On peut maintenant,
avec la capacité de nos serveurs et notre expertise grandissante en traitement
de banque de données volumineuses, suivre les données d’utilisation des
services de santé, des hospitalisations, des services reçus en CLSC, des
services pharmaceutiques, etc., pour toute la population et ce, sur plus d’une
dizaine d’années. Les principaux dépositaires de ces données actuellement son
la régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) le registre d’état civil et
les ASSS. À titre d’exemple, notre équipe a produit dernièrement un feuillet sur l’utilisation des services
de santé par les Montréalais atteint du diabète. Notre créneau est celui de
l’utilisation des services de santé et l’effet de l’implantation GMF ou d’être
un patient inscrit auprès d’un médecin sur la santé de la population. Pour
cette publication nous avons utilisé des statistiques et des cartes interactives qui permet aux gestionnaires
d’avoir accès via le web à leurs données détaillées pour leur territoire de
centre de santé et services sociaux (CSSS), ainsi que pour Montréal.
Plusieurs équipes de recherche et de gestion
utilisent les mêmes sources d’informations, mais il y a peu d’échanges sur les
problèmes de validation ou encore, sur les limites d’utilisation de certaines
sources de données. De plus, l’expertise de chaque équipe est très variable et
les besoins sont également différents. On doit attendre les publications pour
connaître les algorithmes finaux de création d’indicateur validé et comme les
sources (l’extraction des données) ne sont jamais exactement les mêmes, il est
difficile de faire des échanges. Chacun a son créneau, sa spécialisation, son
angle d’analyse. Alors chacun recommence les mêmes opérations de validations des
données de bases, sans pouvoir bénéficier de l’expertise développée par
d’autres équipes de recherche. En ce qui concerne les gestionnaires, ils n’ont
généralement pas le temps d’attendre des algorithmes validés, alors les
analystes de leurs équipes procèdent rapidement à des calculs d’indicateurs de
gestion, mais souvent sans avoir le temps de vérifier les données!
Toutefois, actuellement on assiste à davantage d’échanges
informels entre les équipes et les professionnels qui travaillent à la base,
c'est-à-dire, les analystes, les professionnels dédiés à un sujet, les
statisticiens, etc. Ces échanges se font par téléphone et courriels. Les gestionnaires
sont moins friands de ces échanges, car ils sont dans le politique, le
stratégique et le besoin de démontrer qu’ils détiennent la meilleure équipe de
recherche, c’est une question de survie. Depuis plus de dix ans, j’entends
parler de projets d’un seul endroit de dépôt des données avec des accès dédié
aux équipes de recherche. Il y a eu au moins une dizaine d’équipe de recherche qui
a réclamé la détention de cette mine d’or d’information. Chacun d’eux détient toute
la crédibilité nécessaire pour le faire, mais pas nécessairement toute l’expertise,
car celle-ci est répartie dans plusieurs équipes au Québec. Encore cette année,
il y a des rumeurs de négociations de la part de plusieurs équipes, mais à
chaque changement de gouvernement, les orientations changent et les ministres aussi.
Maintenant, avec les compressions financières grandissantes,
le désir de centraliser les services et les ressources informationnelles est
plus présent que jamais. À titre d’exemple, les gestionnaires des agences de
santé et des services sociaux de partout en province procèdent actuellement au
transfert et à la centralisation de tous les serveurs (données et applicatifs)
dans leurs technocentres[1]
régionaux. Les établissements de santé n’ont d’autre choix que de transférer
leurs données et les applications à un seul endroit et d’y avoir accès via le
web sécurisé, évidemment. Tout ceci dans un but de rationalisation, mais aussi,
pour faciliter l’entretien et la mise à jour des applications. Le danger est
d’être à la merci d’applications informatiques fermées et imposées. L’accès à
des outils ou applications ouvertes est de plus en plus difficile, même si on
reconnaît qu’il y a une économie d’échelle à faire. Peut-être que le centre
d’expertise en logiciel libre que le gouvernement doit mettre en place fera
changer la donne.
Au niveau provincial, nous avons déjà accès à une
série de service via le web. À titre d’exemple, plusieurs indicateurs de santé
sont accessibles via l’institut national de santé publique (INSPQ) et son infocentre. Selon le profil d’accès, tous
peuvent interroger les données sur le site directement. Nous y trouvons
également toutes les informations sur la construction des indicateurs. Toutefois,
c’est loin d’être l’ensemble des données dont les équipes de recherche ont
besoin pour réaliser le mandat expliqué plus haut.
Je suis d’accord à ce qu’il y est un seul lieu de
dépôt avec des accès aux diverses équipes de recherche. Cela permettrait une
économie d’échelle importante. De plus, les travaux de validation des sources
de données ne seraient réalisés que par une seule équipe qui devra rendre
disponible toute l’information de façon ouverte et rapidement. Cela nécessitera
de nouveaux outils interactifs d’échanges sur les problèmes rencontrés, les
projets en cours, de la documentation de qualité et uniformisée.
Dans un an :
La centralisation au niveau des technocentres sera
presque terminée. Les équipes travailleront à construire un intranet plus
efficace. Les équipes de recherche et de gestion qui travaillent avec les mêmes
données seront consultées pour la création d’outils interactifs qui permettront
des échanges sur les problèmes rencontrés, les discussions sur le calcul d’un
nouvel indicateur, l’utilisation d’outils statistiques appropriés, etc. Des discussions s’amorceront également sur la
formation de groupe sur les médias sociaux afin de rendre l’échange d’information
plus fluide ou plus accessible. Ainsi, l’accès à des étudiants ou des
chercheurs universitaires en sera facilité, car ils n’ont pas accès aux
intranets du réseau de la santé. Un nouveau plan d’accès aux services web, pour
les groupes communautaires et pour le public sera en développement.
Actuellement c’est fastidieux pour n’importe qui de se retrouver sur tous les
sites de l’ASSS.
Au niveau provincial, il y aura encore des
discussions sur l’hébergement des données médicoadministratives à des fins de
recherche, mais je soupçonne que l’INSPQ sera l’endroit de choix. Ils ont déjà
l’équipement nécessaire, disposent de la plus grosse équipe de professionnels
et d’analystes en place. Toutefois, les discussions sur qui aura accès? À quel
niveau de détails? À quelle fin les équipes de recherche pourront utiliser ces
données ne seront pas arrêté. Je soupçonne aussi que nous retournerons en
élection dans quelques mois, avec tout le retard que cela engendre!
Les technologies sont déjà bien implantées pour
l’accès et l’interrogation des indicateurs déjà calculés ou pour des requêtes
paramétrées. Toutefois, lorsqu’il s’agira de permettre à plus d’une équipe de
recherche en province d’interroger des millions d’enregistrements en même
temps, il faudra d’autres expertises et d’autres structures.
Dans cinq ans :
Un intranet régional sera disponible avec beaucoup
plus d’outils interactifs. Il y aura aussi un intranet provincial qui permettra
de réunir sous un seul site une grande quantité de communautés de recherche ou
de gestion qui travaillent sur les mêmes données. Les experts pourront mieux communiquer,
avec des outils sécuritaires et bien gérés tels que wiki, blogue, site unique
du dépôt des informations. Grâce aux médias sociaux, il y a aura une plus
grande implication de la population dans les décisions. On assistera à la
création de nouveaux groupes d’experts tel que des diabétiques experts ou des
personnes atteintes de toutes autres maladies chroniques, qui auront davantage d'espace
dans les décisions et les consultations.
Les experts universitaires continueront d’utiliser
la littérature scientifique pour bien structurer leurs programmes ou leur
projet de recherche et aussi, pour l’alimenter. Mais il y aura davantage de
blogues d’experts et de publications synthétisées. Il y aura une recension plus
importante de ce qui se dit sur le web et dans les réseaux à propos des sujets d’étude
ou les expériences vis-à-vis les services de santé. Le recrutement dans les
programmes adaptés selon les clientèles sera mieux ciblé. Les messages pour
rejoindre la population seront mieux dirigés.
Toutefois, il continuera à y avoir des guerres de
cloché et certaines équipes se disputeront encore l’exclusivité d’un sujet de
recherche ou d’une expertise spécifique. Le travail en silo se résorbera doucement,
car les ressources techniques et professionnelles sont de plus en plus limitées.
Les profils personnels des utilisateurs de plateforme telle que Facebook ou
Google+ seront non seulement utilisé pour le marketing et la publicité, mais
aussi pour la promotion de trucs pour leur santé, adaptés à leur condition physique!
Il y aura une économie de temps pour trouver de l’information,
mais il y a aura plus d’informations à traiter. À titre d’exemple, les dossiers
cliniques informatisés (DCI)ou les dossiers médicaux électroniques (DME) seront
en place dans la majorité des cliniques. Ceux-ci deviennent donc une nouvelle source
d’information que les équipes de recherche et les gestionnaires voudront
interroger. Mais ces dossiers ne sont pas standards ou uniformes! Chaque clinique
peut choisir son application (moyennant une certaine compatibilité pour leur
facturation à la RAMQ)!
On aura besoin de formation continue pour mieux
utiliser toutes ces applications ou outils web disponibles qui continuent à
exploser. Actuellement, les gens arrivent avec leurs connaissances sur les TIC
et les réseaux, mais c’est très variable d’un individu à l’autre. Ça va très
vite et ça bouge partout en même temps. DME, différentes plateformes, mais non
uniforme dans les cliniques. Outils fermés et ouverts. Défis seront encore
nombreux….
La nécessité d’une direction centralisée forte avec
des directives cohérentes seront de plus en plus nécessaire. Il faudra faire
plus avec moins!
Dans vingt ans :
La génération moins branchée sera à la retraite et ceux
qui seront là complètement outillés avec le web seulement. Pour les actuels
futurs retraités comme moi, qui aura à continuer à travailler, "car trop
peu de jeunes contribueront à notre régime de retraite", devra être
soucieux de se garder à jour dans les technologies actuelles. Nous serons
probablement dans un univers web complètement c'est-à-dire, plus de poste informatique
ou disque dur dans nos bureaux ou édifices. Les ASSS et CSSS n’existeront probablement
plus sous la forme actuelle. Toutes les informations nécessaires pour la
réalisation de programmes et de recherche seront centralisées au niveau
provincial. Les mêmes données utilisées actuellement seront accessibles en
temps réel plutôt qu’annuellement. Nous serons dans l’air du wimax et du MAN (metropolitan
area network) ou hiperMAN. L’accès au web sera universel. Les
accès aux données de l’OMS ou des autres pays seront facilités.
L’accès à un
professionnel de santé approprié, selon le besoin (pour les maladies ou
services spécifiques) sera d’abord déterminé par une application web logique
qui fera une forme de triage avant d’être dirigé vers le bon service de santé
et ce, avec un RDV dans les 24 heures
(un rêve). La population pourra évaluer les services qu’ils recevront de façon
plus transparente.
Mais je crois qu’il y aura encore des guerres de cloché, même si je
perçois chez nos jeunes d’aujourd’hui une plus grande sensibilisation à
travailler en communauté, il restera encore des éléments qui créeront cette
compétition telle que les subventions. L’accès à une information de qualité,
filtré par des experts sera encore plus facile, mais aussi, l’accès aux besoins
de la population, via de nouvelles plateformes qu’offre les médias sociaux devrait
être également facilités.
L’article suivant qui résume la perception de 18 experts sur l’avenir des médias sociaux m’a orientée
pour cette dernière partie.
…Un avis conforté par Gina Bianchini, qui ajoute aux notions de partage et d’interaction
celle d’apprentissage, que Chad Hurley complète en voyant les médias sociaux comme principal
moteur de découverte, permettant de détecter les signaux faibles au milieu du
bruit. Cette interaction massive des internautes permettra en outre d’élaborer
des modèles prédictifs capables de savoir ce que nous voulons avant même que
nous le cherchions…
Côté positif (?), un mélange d’intelligence et
d’algorithme pour nous préserver de 99% de l’info dont nous ne voulons pas et à
laquelle nous sommes exposés, selon Mike Davidson, pour ne mettre en avant que le 1% qui nous intéresse.
Autrement dit, moins consommer, mais
consommer mieux !...
Conclusion
Nous sommes dans un
processus de convergence et de rationalisation, de redéfinition des pratiques. Nous
sommes également dans l’air des changements technologiques qui orientent ces
changements de pratique. J’y vois une grande opportunité d’améliorer nos façons
de faire, de regrouper davantage les connaissances et les experts à tous les
niveaux, par les multiples applications qu’offrent les médias sociaux. Le texte
de Michael Nielsen est intéressant, mais il est déjà dépassé pour quelques
éléments d’échec qu’ils documentent. À titre d’exemple, son constat
suivant en ce qui concerne Wikipédia:
Some scientists will object that contributing to Wikipedia isn’t really science. And, of course, it’s not if you take a narrow view of what science is, if you’ve bought into the current game, and take it for granted that science is only about publishing in specialized scientific journals. But if you take a broader view, if you believe science is about discovering how the world works, and sharing that understanding with the rest of humanity, then the lack of early scientific support for Wikipedia looks like an opportunity lost.
Or, en 2006 débutait la
création de
Wikidoc qui constitue maintenant une ressource colossale
d’information en médecine. La volonté des experts de rendre les connaissances
accessibles est toujours présente et grandissante. Ce qu’il faut pour accélérer
ces changements est une direction forte et crédible. Ce qui n’est pas facile à
trouver actuellement avec nos nombreuses institutions qui se battent pour leur
survie.
En 20 ans, j’ai été
témoin dans les changements apportés non seulement avec l’arrivée du micro- informatique,
mais aussi celle de l’internet. Je crois que nous sommes davantage dans une
continuité que dans une rupture, car nous innovons constamment tout en nous efforçant
à adopter les nouvelles opportunités que nous offre le web. Nous continuons à
répondre à notre mission, avec une plus grande rapidité, efficacité et en moins
de temps. Les compétences sont différentes pour accomplir ces missions, mais
les universités offrent des programmes qui sont adaptés à ces changements.
J’observe tout de même que l’on demande plus de compétences qu’avant lors de
l’embauche d’un professionnel. Maintenant, avec l’accès à beaucoup plus d’applications
(statistiques, cartographiques, sources d’informations, moteur de recherche, etc.)
on demande une plus grande polyvalence. Les contrats de travail sont courts et
on cherche des personnes ultras performantes. Les jeunes qui arrivent sur le
marché du travail maintenant, je le vois, sont plus polyvalents que nous
l’étions il y a 20 ans!
Mais qu’en est-il des
professionnels plus âgés? S’ils ne se sont pas mis à jour dans leur pratique et
dans les outils web, ils sont souvent déphasés. Heureusement, ils possèdent une
connaissance qui est encore utile. Est-ce que nos jeunes seront assez patients
pour demander les informations ou auront-ils le réflexe d’aller chercher sur le
web seulement? Comment seront nos relations sociales
au travail dans le futur? Ces questions se posent, car actuellement nous tentons de rendre toutes
nos connaissances accessibles via le web.
[1] Les
technocentres sont les centres informatiques régionaux des ASSS et s’occupent
des ressources informationnelles. Le technocentre est géré par le Conseil d’administration
de l’agence de santé et services sociaux. Certaines régions ont regroupé les services
de leurs technocentres. C’est le cas de Laval, Lanaudière et Laurentides.
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