mardi 2 avril 2013

Activité-E: bilan



Contexte

Pour ce bilan j’ai choisi mon milieu de travail, car c’est de loin celui pour lequel j’ai le plus d’expérience, mais également, pour lequel je vis au quotidien l’effet des changements de pratique que permettent le web et les médias sociaux. La direction de santé publique de l’agence de la santé et des services sociaux (ASSS) de Montréal a pour mission de « Garder notre monde en santé ». Cette mission se réalise entre autres par le biais de plusieurs activités, dont la promotion de bonnes habitudes de vie, la surveillance de l’état de santé et la recherche qui contribue à l’avancement des compétences et connaissances en santé publique. Plusieurs équipes travaillent à couvrir des dossiers thématiques dont celui dans lequel je travaille soit, les services préventifs en milieu clinique. L’objectif de ce secteur est :

 Par ses interventions et ses activités de recherche, le secteur Services préventif en milieu clinique travaille, de concert avec les partenaires du réseau de la santé, à faire émerger un réseau de première ligne fort qui intègre la prévention clinique dans l’ensemble du continuum de services.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la terminologie, le réseau de santé de première ligne est constitué de l’ensemble des services offerts par les cliniques médicales (public ou privé), les centres de santé et services sociaux (CSSS) ou les unités de médecine familiale. L’accès rapide à un service de première ligne efficace est un déterminant important à la santé de population. 

Problématique (enjeux et acteurs)

L’équipe de recherche dans laquelle je travaille a pour objectif de suivre et évaluer l’effet des transformations des services sur la santé des populations. L’implantation de quelques mesures par le gouvernement (groupes de médecine familiale [GMF], clinique réseaux) doivent être évalué et réajusté et ce, par le biais des diverses études réalisées à la fois par notre équipe, mais aussi, par d’autres équipes de recherche du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), des équipes universitaires, des regroupements de chercheurs, bref, par d’autres partenaires, mais aussi, des compétiteurs! En effet, nous sommes tributaires de subventions pour plusieurs projets de recherche, et ce, pour des objectifs semblables! Toutefois, les organismes subventionnaires ne sont pas illimités. L’un des enjeux ici est l’accès aux banques de données médicoadministratives qui sont utilisées pour réaliser du monitorage ou de la recherche. On peut maintenant, avec la capacité de nos serveurs et notre expertise grandissante en traitement de banque de données volumineuses, suivre les données d’utilisation des services de santé, des hospitalisations, des services reçus en CLSC, des services pharmaceutiques, etc., pour toute la population et ce, sur plus d’une dizaine d’années. Les principaux dépositaires de ces données actuellement son la régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) le registre d’état civil et les ASSS. À titre d’exemple, notre équipe a produit dernièrement un feuillet sur l’utilisation des services de santé par les Montréalais atteint du diabète. Notre créneau est celui de l’utilisation des services de santé et l’effet de l’implantation GMF ou d’être un patient inscrit auprès d’un médecin sur la santé de la population. Pour cette publication nous avons utilisé des statistiques et des cartes interactives qui permet aux gestionnaires d’avoir accès via le web à leurs données détaillées pour leur territoire de centre de santé et services sociaux (CSSS), ainsi que pour Montréal. 

Plusieurs équipes de recherche et de gestion utilisent les mêmes sources d’informations, mais il y a peu d’échanges sur les problèmes de validation ou encore, sur les limites d’utilisation de certaines sources de données. De plus, l’expertise de chaque équipe est très variable et les besoins sont également différents. On doit attendre les publications pour connaître les algorithmes finaux de création d’indicateur validé et comme les sources (l’extraction des données) ne sont jamais exactement les mêmes, il est difficile de faire des échanges. Chacun a son créneau, sa spécialisation, son angle d’analyse. Alors chacun recommence les mêmes opérations de validations des données de bases, sans pouvoir bénéficier de l’expertise développée par d’autres équipes de recherche. En ce qui concerne les gestionnaires, ils n’ont généralement pas le temps d’attendre des algorithmes validés, alors les analystes de leurs équipes procèdent rapidement à des calculs d’indicateurs de gestion, mais souvent sans avoir le temps de vérifier les données!  

Toutefois, actuellement on assiste à davantage d’échanges informels entre les équipes et les professionnels qui travaillent à la base, c'est-à-dire, les analystes, les professionnels dédiés à un sujet, les statisticiens, etc. Ces échanges se font par téléphone et courriels. Les gestionnaires sont moins friands de ces échanges, car ils sont dans le politique, le stratégique et le besoin de démontrer qu’ils détiennent la meilleure équipe de recherche, c’est une question de survie. Depuis plus de dix ans, j’entends parler de projets d’un seul endroit de dépôt des données avec des accès dédié aux équipes de recherche. Il y a eu au moins une dizaine d’équipe de recherche qui a réclamé la détention de cette mine d’or d’information. Chacun d’eux détient toute la crédibilité nécessaire pour le faire, mais pas nécessairement toute l’expertise, car celle-ci est répartie dans plusieurs équipes au Québec. Encore cette année, il y a des rumeurs de négociations de la part de plusieurs équipes, mais à chaque changement de gouvernement, les orientations changent et les ministres aussi. 

Maintenant, avec les compressions financières grandissantes, le désir de centraliser les services et les ressources informationnelles est plus présent que jamais. À titre d’exemple, les gestionnaires des agences de santé et des services sociaux de partout en province procèdent actuellement au transfert et à la centralisation de tous les serveurs (données et applicatifs) dans leurs technocentres[1] régionaux. Les établissements de santé n’ont d’autre choix que de transférer leurs données et les applications à un seul endroit et d’y avoir accès via le web sécurisé, évidemment. Tout ceci dans un but de rationalisation, mais aussi, pour faciliter l’entretien et la mise à jour des applications. Le danger est d’être à la merci d’applications informatiques fermées et imposées. L’accès à des outils ou applications ouvertes est de plus en plus difficile, même si on reconnaît qu’il y a une économie d’échelle à faire. Peut-être que le centre d’expertise en logiciel libre que le gouvernement doit mettre en place fera changer la donne.

Au niveau provincial, nous avons déjà accès à une série de service via le web. À titre d’exemple, plusieurs indicateurs de santé sont accessibles via l’institut national de santé publique (INSPQ) et son infocentre. Selon le profil d’accès, tous peuvent interroger les données sur le site directement. Nous y trouvons également toutes les informations sur la construction des indicateurs. Toutefois, c’est loin d’être l’ensemble des données dont les équipes de recherche ont besoin pour réaliser le mandat expliqué plus haut. 

Je suis d’accord à ce qu’il y est un seul lieu de dépôt avec des accès aux diverses équipes de recherche. Cela permettrait une économie d’échelle importante. De plus, les travaux de validation des sources de données ne seraient réalisés que par une seule équipe qui devra rendre disponible toute l’information de façon ouverte et rapidement. Cela nécessitera de nouveaux outils interactifs d’échanges sur les problèmes rencontrés, les projets en cours, de la documentation de qualité et uniformisée.

Dans un an :

La centralisation au niveau des technocentres sera presque terminée. Les équipes   travailleront à construire un intranet plus efficace. Les équipes de recherche et de gestion qui travaillent avec les mêmes données seront consultées pour la création d’outils interactifs qui permettront des échanges sur les problèmes rencontrés, les discussions sur le calcul d’un nouvel indicateur, l’utilisation d’outils statistiques appropriés, etc.  Des discussions s’amorceront également sur la formation de groupe sur les médias sociaux afin de rendre l’échange d’information plus fluide ou plus accessible. Ainsi, l’accès à des étudiants ou des chercheurs universitaires en sera facilité, car ils n’ont pas accès aux intranets du réseau de la santé. Un nouveau plan d’accès aux services web, pour les groupes communautaires et pour le public sera en développement. Actuellement c’est fastidieux pour n’importe qui de se retrouver sur tous les sites de l’ASSS. 

Au niveau provincial, il y aura encore des discussions sur l’hébergement des données médicoadministratives à des fins de recherche, mais je soupçonne que l’INSPQ sera l’endroit de choix. Ils ont déjà l’équipement nécessaire, disposent de la plus grosse équipe de professionnels et d’analystes en place. Toutefois, les discussions sur qui aura accès? À quel niveau de détails? À quelle fin les équipes de recherche pourront utiliser ces données ne seront pas arrêté. Je soupçonne aussi que nous retournerons en élection dans quelques mois, avec tout le retard que cela engendre! 

Les technologies sont déjà bien implantées pour l’accès et l’interrogation des indicateurs déjà calculés ou pour des requêtes paramétrées. Toutefois, lorsqu’il s’agira de permettre à plus d’une équipe de recherche en province d’interroger des millions d’enregistrements en même temps, il faudra d’autres expertises et d’autres structures. 

Dans cinq ans :

Un intranet régional sera disponible avec beaucoup plus d’outils interactifs. Il y aura aussi un intranet provincial qui permettra de réunir sous un seul site une grande quantité de communautés de recherche ou de gestion qui travaillent sur les mêmes données. Les experts pourront mieux communiquer, avec des outils sécuritaires et bien gérés tels que wiki, blogue, site unique du dépôt des informations. Grâce aux médias sociaux, il y a aura une plus grande implication de la population dans les décisions. On assistera à la création de nouveaux groupes d’experts tel que des diabétiques experts ou des personnes atteintes de toutes autres maladies chroniques, qui auront davantage d'espace dans les décisions et les consultations.

Les experts universitaires continueront d’utiliser la littérature scientifique pour bien structurer leurs programmes ou leur projet de recherche et aussi, pour l’alimenter. Mais il y aura davantage de blogues d’experts et de publications synthétisées. Il y aura une recension plus importante de ce qui se dit sur le web et dans les réseaux à propos des sujets d’étude ou les expériences vis-à-vis les services de santé. Le recrutement dans les programmes adaptés selon les clientèles sera mieux ciblé. Les messages pour rejoindre la population seront mieux dirigés. 

Toutefois, il continuera à y avoir des guerres de cloché et certaines équipes se disputeront encore l’exclusivité d’un sujet de recherche ou d’une expertise spécifique. Le travail en silo se résorbera doucement, car les ressources techniques et professionnelles sont de plus en plus limitées. Les profils personnels des utilisateurs de plateforme telle que Facebook ou Google+ seront non seulement utilisé pour le marketing et la publicité, mais aussi pour la promotion de trucs pour leur santé, adaptés à leur condition physique! 

Il y aura une économie de temps pour trouver de l’information, mais il y a aura plus d’informations à traiter. À titre d’exemple, les dossiers cliniques informatisés (DCI)ou les dossiers médicaux électroniques (DME) seront en place dans la majorité des cliniques. Ceux-ci deviennent donc une nouvelle source d’information que les équipes de recherche et les gestionnaires voudront interroger. Mais ces dossiers ne sont pas standards ou uniformes! Chaque clinique peut choisir son application (moyennant une certaine compatibilité pour leur facturation à la RAMQ)! 

On aura besoin de formation continue pour mieux utiliser toutes ces applications ou outils web disponibles qui continuent à exploser. Actuellement, les gens arrivent avec leurs connaissances sur les TIC et les réseaux, mais c’est très variable d’un individu à l’autre. Ça va très vite et ça bouge partout en même temps. DME, différentes plateformes, mais non uniforme dans les cliniques. Outils fermés et ouverts. Défis seront encore nombreux….

La nécessité d’une direction centralisée forte avec des directives cohérentes seront de plus en plus nécessaire. Il faudra faire plus avec moins! 

Dans vingt ans :

La génération moins branchée sera à la retraite et ceux qui seront là complètement outillés avec le web seulement. Pour les actuels futurs retraités comme moi, qui aura à continuer à travailler, "car trop peu de jeunes contribueront à notre régime de retraite", devra être soucieux de se garder à jour dans les technologies actuelles. Nous serons probablement dans un univers web complètement c'est-à-dire, plus de poste informatique ou disque dur dans nos bureaux ou édifices. Les ASSS et CSSS n’existeront probablement plus sous la forme actuelle. Toutes les informations nécessaires pour la réalisation de programmes et de recherche seront centralisées au niveau provincial. Les mêmes données utilisées actuellement seront accessibles en temps réel plutôt qu’annuellement. Nous serons dans l’air du wimax et du MAN (metropolitan area network) ou  hiperMAN. L’accès au web sera universel. Les accès aux données de l’OMS ou des autres pays seront facilités.

L’accès à un professionnel de santé approprié, selon le besoin (pour les maladies ou services spécifiques) sera d’abord déterminé par une application web logique qui fera une forme de triage avant d’être dirigé vers le bon service de santé et ce, avec un RDV dans les 24  heures (un rêve). La population pourra évaluer les services qu’ils recevront de façon plus transparente.

Mais je crois qu’il y aura encore des guerres de cloché, même si je perçois chez nos jeunes d’aujourd’hui une plus grande sensibilisation à travailler en communauté, il restera encore des éléments qui créeront cette compétition telle que les subventions. L’accès à une information de qualité, filtré par des experts sera encore plus facile, mais aussi, l’accès aux besoins de la population, via de nouvelles plateformes qu’offre les médias sociaux devrait être également facilités.

L’article suivant qui résume la perception de 18 experts sur l’avenir des médias sociaux  m’a orientée pour cette dernière partie.  
…Un avis conforté par Gina Bianchini, qui ajoute aux notions de partage et d’interaction celle d’apprentissage, que Chad Hurley complète en voyant les médias sociaux comme principal moteur de découverte, permettant de détecter les signaux faibles au milieu du bruit. Cette interaction massive des internautes permettra en outre d’élaborer des modèles prédictifs capables de savoir ce que nous voulons avant même que nous le cherchions…
Côté positif (?), un mélange d’intelligence et d’algorithme pour nous préserver de 99% de l’info dont nous ne voulons pas et à laquelle nous sommes exposés, selon Mike Davidson, pour ne mettre en avant que le 1% qui nous intéresse. Autrement dit, moins consommer, mais consommer mieux !...

Conclusion

Nous sommes dans un processus de convergence et de rationalisation, de redéfinition des pratiques. Nous sommes également dans l’air des changements technologiques qui orientent ces changements de pratique. J’y vois une grande opportunité d’améliorer nos façons de faire, de regrouper davantage les connaissances et les experts à tous les niveaux, par les multiples applications qu’offrent les médias sociaux. Le texte de Michael Nielsen est intéressant, mais il est déjà dépassé pour quelques éléments d’échec qu’ils documentent. À titre d’exemple, son constat suivant en ce qui concerne Wikipédia:

Some scientists will object that contributing to Wikipedia isn’t really science. And, of course, it’s not if you take a narrow view of what science is, if you’ve bought into the current game, and take it for granted that science is only about publishing in specialized scientific journals. But if you take a broader view, if you believe science is about discovering how the world works, and sharing that understanding with the rest of humanity, then the lack of early scientific support for Wikipedia looks like an opportunity lost.

Or, en 2006 débutait la création de Wikidoc qui constitue maintenant une ressource colossale d’information en médecine. La volonté des experts de rendre les connaissances accessibles est toujours présente et grandissante. Ce qu’il faut pour accélérer ces changements est une direction forte et crédible. Ce qui n’est pas facile à trouver actuellement avec nos nombreuses institutions qui se battent pour leur survie. 

En 20 ans, j’ai été témoin dans les changements apportés non seulement avec l’arrivée du micro- informatique, mais aussi celle de l’internet. Je crois que nous sommes davantage dans une continuité que dans une rupture, car nous innovons constamment tout en nous efforçant à adopter les nouvelles opportunités que nous offre le web. Nous continuons à répondre à notre mission, avec une plus grande rapidité, efficacité et en moins de temps. Les compétences sont différentes pour accomplir ces missions, mais les universités offrent des programmes qui sont adaptés à ces changements. J’observe tout de même que l’on demande plus de compétences qu’avant lors de l’embauche d’un professionnel. Maintenant, avec l’accès à beaucoup plus d’applications (statistiques, cartographiques, sources d’informations, moteur de recherche, etc.) on demande une plus grande polyvalence. Les contrats de travail sont courts et on cherche des personnes ultras performantes. Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail maintenant, je le vois, sont plus polyvalents que nous l’étions il y a 20 ans! 

Mais qu’en est-il des professionnels plus âgés? S’ils ne se sont pas mis à jour dans leur pratique et dans les outils web, ils sont souvent déphasés. Heureusement, ils possèdent une connaissance qui est encore utile. Est-ce que nos jeunes seront assez patients pour demander les informations ou auront-ils le réflexe d’aller chercher sur le web seulement? Comment seront nos relations sociales au travail dans le futur? Ces questions se posent, car actuellement nous tentons de rendre toutes nos connaissances accessibles via le web.






[1] Les technocentres sont les centres informatiques régionaux des ASSS et s’occupent des ressources informationnelles. Le technocentre est géré par le Conseil d’administration de l’agence de santé et services sociaux. Certaines régions ont regroupé les services de leurs technocentres. C’est le cas de Laval, Lanaudière et Laurentides.

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